Des rives de la Méditerranée à l'Orient, de la Turquie aux sources du Gange, en suivant d'anciennes routes commerciales, parcourues par les caravanes depuis plusieurs millénaires, c'est, autant que possible, à pied que Matthieu et Françoise dérouleront un long chemin. En 2016, le premier mouvement de cette aventure les a conduits d'Istanbul à Téhéran en traversant l'Anatolie, les rivages de la Mer Noire, la Géorgie et l'Arménie. Fin août 2017, repartant de Téhéran, ils gagnent la Mer Caspienne ; puis après un transit rapide du Turkménistan, ils rejoignent l'Ouzbekistan, Boukhara, Samarkand, traversent la Ferghana puis atteignent fin novembre 2017 Bishkek, la capitale kirghize. Début septembre 2018, ils quitteront Och au Kirghizstan pour Irkeshtam d'où ils pénétreront en Chine ; puis après la traversée de la Kunjerab Pass, ils enteront au Pakistan, puis atteindront l'Inde et continueront vers Haridwar, but de leur périple.

vendredi 2 novembre 2018

D’étranges véhicules sur la route

Un matin, alors que nous marchons le long de la route , après avoir quitté Phagwara dans le Penjab indien, nous entendons un bruit étrange, comme si un pêcheur breton partait sur sa barcasse pour aller ramasser ses filets. Étrange, vraiment car nous sommes loin de la mer. Et nous voyons passer ce véhicule extraordinaire devant nous. Poussif, crachotant, il trace la route fièrement.


Il s’agit, en fait, d’une sorte de taxi collectif qui dessert des villages le long de la route.

Nous nous sommes mis à guetter, à l’oreille, l’apparition de ces véhicules d’un autre temps, et même presque d’une autre planète. Il nous ont chaque fois réjouis. La roue avant est souvent chancelante, la carrosserie cache sa rouille sous des peintures vives, le pot d’échappement traîne par terre.





Mais ils transportent vaillamment personnes et bagages.






Et rapidement, nous leur trouvons un air de famille avec les buffles que l’on voit dans les villages. Même profil élancé, même coefficient de pénétration dans l’air (Cx) ...



Même front bas, même yeux étroits, ...



Quant à celle-ci, avec son rose pastel et son toit bleu ciel, ne semble-t-elle pas la voiture idéale pour les lunes de miel des jeunes villageois Penjabis ?


Matthieu et Françoise



jeudi 1 novembre 2018

Tourisme « protégé » à Multan

Avant le voyage, lors de promenades sur le web, Françoise avait eu le coup de cœur pour la ville de Multan au Pakistan. Matthieu, devant les photos de mausolées de saints soufis qu’elle lui avait montrées, a été rapidement convaincu que la ville méritait un détour (en bus).
Notre interlocuteur au consulat du Pakistan avait montré un certain étonnement lorsqu’il avait vu cette ville sur notre déclaration d’itinéraire. Il nous a seulement dit : vous allez avoir très chaud ! et il nous a octroyé le visa.

 Un matin d’octobre, nous décidons de quitter l’hôtel à Lahore pour gagner la gare des bus et joindre Multan, la ville des saints.
Premier problème : la rue est bloquée par une escadrille de policiers ; personne ne peut sortir de l’hôtel. Une manifestation de soutien à l’ancien premier ministre, lequel fait l’objet d’un procès pour corruption, semble justifier ce déploiement de forces.


Vers 10h30, nous tentons une percée. Ça marche. Nous louvoyons entre les forces de l’ordre et une armée de journalistes. Lesquels certainement lassés de filmer des scènes qui semblent monnaie courante dans ce pays, avaient enfin trouvé un sujet plus nouveau, mettant en scène deux personnages exotiques (les touristes sont denrée rare au Pakistan).


Bref, nous gagnons un carrefour où un rickshaw nous conduit à la gare des bus. Et c’est parti pour 5h30 de trajet tout au long d’un paysage plutôt monotone.
Arrivés en fin d’après-midi, nous jetons notre dévolu sur un hôtel près de la vieille ville, pensant y flâner dans des rues pittoresques. Nous sommes reçus chaleureusement par le directeur et, là, nous apprenons que tout déplacement en dehors de l’hôtel ne peut se faire que dans une voiture et sous escorte policière. Pas très pratique pour aller au coin de la rue boire un thé. Un pas en dehors de l’hôtel pour prendre le frais et nous sommes gentiment mais fermement repoussés à l’intérieur par un vigile armé.


Bon, s’il faut en passer par la, organisons donc la visite des mausolées pour le lendemain. Voiture (a notre charge) et escorte de police (gracieusement offerte) sont prévues à 9h.
 Le lendemain, à 9h, nous sommes sur le pont prêts à affronter les dangers de la ville. Le personnel de l’hôtel s’empresse gêné autour de nous pour dire qu’aujourd’hui est jour de festival (ur) et que les membres de la communauté soufie se pressent dans les mausolées. Les autorités ont donc trouvé que c’était dangereux pour nous d’aller visiter les monuments.
Il est vrai que les lieux de pèlerinage soufi sont régulièrement la cible des talibans.
Un léger énervement s’empare de nous. Que faire dans cet hôtel où nous sommes cloîtrés ?

En fin de matinée, on nous octroie une courte visite d’un petit mausolée. L’escorte arrive dans une jeep, notre voiture est prête juste derrière. Nous sortons de l’hôtel sous la surveillance de nos gardes. Et c’est parti : vitres sombres fermées, portières bloquées, c’est dans cette prison ambulante que nous verrons les vieux quartiers de Multan. La ville nous paraît tellement vivante. Maisons de briques, marchés animés, chevaux, ânes et même un dromadaire, ...
Notre voiture reste collée derrière la jeep. Un avantage à notre situation : les embouteillages se dissolvent à l’arrivée de nos gardes.

Et nous arrivons à ce modeste mausolée, et pénétrons dans l’enceinte accompagnés par un de nos gardes. Nous entrons tous les 3 dans la cour pieds nus, qui armés d’appareils photos, qui d’une Kalachnikov.


L’ambiance dans le mausolée est populaire. Ici viennent des gens simples. Ils prient mains ouvertes devant eux, certains posent le front contre le tombeau, des femmes chantent. L’endroit est modeste et respire la paix. Même notre garde prie, ayant laissé son arme contre le mur à l’entrée du tombeau sous la garde d’un mendiant (la sécurité au Pakistan peut prendre de curieuses voies).



Nous sortons tous les 3. Devant le mausolée, une petite rue où quelques stands proposent des objets religieux. Françoise, éprise de liberté, s’en va traîner devant les étals, aussitôt suivie par notre cerbère.


Nous retournons dans la voiture. Nous faisons savoir que nous voulons acheter des fruits et du Nescafé. Réunion de crise entre nos gardes et notre chauffeur. Les fruits ne semblaient pas poser problème. Mais pour le café ce n’était pas gagné. Ils nous emmènent d’abord dans un bar « moderne » où on sert du café. Bien entendu, l’entrée dans le bar de deux français encadrés par des policiers armés a fait son effet parmi la clientèle. Une cliente anglophone finit par comprendre ce que nous voulons et explique aux gardes où trouver cette denrée rare. Et nous voilà repartis pour un supermarché. La encore, nous avons fait sensation à parcourir les rayons suivis par notre garde dont l’arme avait tendance à démolir les piles de produits. Nous avouons avoir été un peu taquins avec lui, choisissant chacun une allée différente et le plongeant ainsi dans un dilemme : protéger la femme ou protéger l’homme.


À la sortie du magasin, encore une belle échappée de Françoise pour aller acheter des fruits 20 mètres plus loin, aussitôt rattrapée par le garde.



Et c’est retour à l’hôtel.

Le lendemain, la fête soufie étant terminée, nous pouvons enfin visiter les célèbres mausolées. Voiture et escorte nous cueillent tôt à l’hôtel. Nous partons en convoi pour voir le mausolée de Baha-Ud-Din-Zakariya. Il abrite les restes d’un saint soufi, qui vécut à Multan au XIIIème siècle et qui, après avoir voyagé en différentes terres d’Islam, a prôné une unité des croyances qu’il y avait rencontrées. Le mausolée lui-même est magnifique et nous a rappelé le mausolée de OldJaïtou que nous avions visité à Sultanyie en Iran.






Ici encore, des chants, des fidèles en prière, une foi simple.

 Puis nous nous rendons au mausolée de Shah Rukn-E-Alam, où la veille avait eu lieu le festival. Au vu de la masse de billets récoltés durant la fête, les adeptes du soufisme sont encore très présents et actifs au Pakistan. Certains pèlerins étaient restés sur place. Il plane encore un air de fête. Nous visitons toujours accompagnés de notre garde lequel patiente avec bonne humeur lorsque des pakistanais viennent discuter avec nous.
C’est le sultan turc Tughlûq Ghiyat al-Din, qui régnait sur Delhi au XIVème siècle, qui a fait construire ce mausolée, preuve de l’importance que la pensée de Shah Rukn-E-Alam avait à l’époque dans cette partie du monde.



Enfin, ni notre chauffeur, ni nos gardes n’auraient compris que nous quittions Multan sans visiter son musée. Et la, grand bonheur, nous avons le droit de traverser un petit parc, à pied, toujours encadrés bien sûr, mais à l’air libre et au milieu des pakistanais

Le musée est situé dans ce qui reste du fort. Il n’y a pas de tickets pour les touristes, nous ne paierons donc rien. Ça sert parfois d’avoir la police à ses côtés. En fait de musée, on nous présente quelques maigres tableaux illustrant l’histoire de la cité. C’est un peu mince car Multan a joué un rôle important sur les routes du commerce et des idées. Alexandre y serait passé ainsi que Gengis Khan. L’un comme l’autre ayant surtout détruit et peu laissé de traces.

Alexandre le Grand au siège de Multan
Gengis Khan 
Nous ne nous attardons pas trop dans la petite salle puis montons sur la terrasse admirer la ville. Multan est une belle ville qui ressemble à certaines villes du Rajasthan : murs de briques, maisons hautes, rues étroites pour se protéger du soleil qui chauffe fort, ... et cette lumière couleur de poussière


La visite est terminée, notre petite équipe nous accompagne à la gare des bus, nous escorte dans le bus pour être bien sûr que les deux français retournent bien dans un endroit sûr.

 Nous quittons Multan un peu frustrés car cette ville avait certainement plus à nous dire que ce que nous avons vu.

Nous nous rendons compte aussi qu’il y a des pays où vivre sa foi n’est pas toujours simple. Le Pakistan est divisé entre sunnites, majoritaires, et chiites (environ 30%). Le soufisme y est très mal vu des intégristes musulmans. Les talibans règnent sur une partie du pays. Dès qu’on quitte la région Hunza, on ressent un pays sous tension. La police, l’armée patrouillent les rues, les milices privées sont armées jusqu’aux dents et sont présentes partout ... jusque dans la pâtisserie à côté de notre hôtel de Lahore. Près de 70% des armes en circulation ne seraient pas déclarées.
 A Darra Adam Khel, village pakistanais à 40 kilomètres au sud de Peshawar, on y fabrique et vend des armes illégales à très bas prix. Une kalachnikov coûterait moins cher que les premiers prix des Smartphone (140 USD), un Beretta moins cher encore. Les autorités auraient récemment mis en place des contrôles de la circulation des armes. Leur efficacité est difficile à croire au vu de ce que l'on voit dans la rue, et ça fait froid dans le dos !.

Et pourtant, dans ce pays, nous avons rencontré des gens charmants, cultivés, à l’esprit ouvert, nous avons été accueillis par des personnes simples et souriantes.


Pour finir sur un ton plus positif, puisque nous étions au cœur du soufisme, comment ne pas être envouté par les chants de Nusrat Fatah Ali Khan, chanteur soufi du Pakistan que vous pouvez entendre ici.

Matthieu et Françoise