Des rives de la Méditerranée à l'Orient, de la Turquie aux sources du Gange, en suivant d'anciennes routes commerciales, parcourues par les caravanes depuis plusieurs millénaires, c'est, autant que possible, à pied que Matthieu et Françoise dérouleront un long chemin. En 2016, le premier mouvement de cette aventure les a conduits d'Istanbul à Téhéran en traversant l'Anatolie, les rivages de la Mer Noire, la Géorgie et l'Arménie. Fin août 2017, repartant de Téhéran, ils gagnent la Mer Caspienne ; puis après un transit rapide du Turkménistan, ils rejoignent l'Ouzbekistan, Boukhara, Samarkand, traversent la Ferghana puis atteignent fin novembre 2017 Bishkek, la capitale kirghize. Début septembre 2018, ils quitteront Och au Kirghizstan pour Irkeshtam d'où ils pénétreront en Chine ; puis après la traversée de la Kunjerab Pass, ils enteront au Pakistan, puis atteindront l'Inde et continueront vers Haridwar, but de leur périple.

vendredi 19 octobre 2018

Une fenêtre ouverte sur la route des religions et des idées 

Depuis le début de notre périple, nous tentons de comprendre où finit l’Occident et où commence l’Orient. Istanbul, les odeurs, les bruits ? Pas si évident ! Nous avons cru pendant un certain temps qu’en Iran, nous avions trouvé le point où nous allions basculer nettement en Orient ! Mais non, nous suivons la trace des Achéménides et d’Alexandre jusqu’en Asie Centrale et nous nous trouvons confrontés à l’histoire de ces peuples qui partis des steppes mongoles ont déferlé en vagues successives vers l’ouest et qui se sont « persanisées ».
Avons-nous alors trouvé ce point de rupture ?
Continuons. nous entrons en Chine, dans le Xinjiang et nous entendons des mots d’origine turque, côtoyons des Tadjikes dont la langue dérive du persan, voyons des coupoles sur les mosquées ... Il faut nous rendre à l’évidence, une frontière franche entre notre Occident et l’Orient vers où nous allons n’existe pas !

Nous suivons, croisons, remontons la voie des la voie des invasions ; nous marchons sur la voie des caravanes. Sur ces routes se propageaient les marchandises mais aussi les idées, les arts, la culture, les religions. Les populations tout au long de ces voies mythiques, qu'elle soient originaires des lointaines steppes, des déserts persans, des anciens territoires scythes, du lointain levant voire même d’Occident s’y côtoyaient dans des flux complexes.

La petite ville de Koucha dans le bassin du Tarim, sur la route nord du désert du Taklamakan, au pied des Monts Célestes, va nous ouvrir une large porte sur ces flux. Y aller, c’est aussi, au milieu des nuages de poussières et des oasis ponctuant la route, rêver aux anciennes caravanes.

Koucha (Kuqa) a vu les traces des chrétiens orientaux : les Nestoriens dont la religion s’est propagée jusqu’en Chine. Mais aussi, y sont passés les adeptes de Mani qui ont développé le manichéisme.
Les plus anciennes traces du bouddhisme Mahayana en Chine et en Asie Centrale s'est diffusé à partir de l'empire Kouchan lequel tire son nom de l'oasis de Koucha.
Nous sommes allés à Koucha pour visiter les sites bouddhistes. Les grottes des mille bouddhas de Kizil sont les plus anciennes qui aient été découvertes en Chine. Les premières d'entre elles pourraient dater du 3e siècle. Pour mémoire le bouddhisme Mahayana arrivera en Chine par la route de la soie, au début du 1er ou 2e siècle, pendant la dynastie Han.
Les premières traductions des textes bouddhistes du Mahayana, du sanscrit en chinois, seraient toutes l'oeuvre de personnes empreintes de culture iranienne issues des territoires parthes, de l’oasis de oucha ou plus largement de l’empire Kouchan. Certaines grottes de Kizil sont ouvertes au public Les peintres de Kizil ont employé à profusion le bleu de lapis-lazuli avec un vert profond de malachite.





Ces fresques magnifiques nous donnent un sentiment de fraîcheur et nous font aussi découvrir des hommes aux chapeaux pointus qui caractérisent les Sogdiens.


Ce peuple est à l'origine de la création de Samarcande, Boukhara, et de la mise en valeur de toute la vallée de la Fergana. Mais il est surtout un maillon essentiel pour la diffusion des marchandises et des idées par les voies commerciales des grandes routes caravanières depuis la Perse, l'Asie Centrale, la Chine et jusqu'au sous continent Indien.

 La statue de Kumarajiva à l'entrée du site de Kizil : mérite quelques mots. La parfaite connaissance du sanscrit de cet érudit koutchéen, dont le père était originaire du Cachemire, lui a permis de réaliser dès le 4è siècle la traduction en chinois d’un ensemble de textes bouddhistes. On retrouve parmi ceux-ci les plus grands textes, tels que le Sutra du Lotus, le Sutra du Diamant, le Mahā prajñā pāramitā śāstra à l'origine du sutra du coeur et de très nombreux autres trésors.


Le contact direct entre le bouddhisme d'Asie centrale et le bouddhisme chinois se poursuivra ainsi du 3e au 7e siècle, jusqu'au début de la dynastie Tang en lien avec l'empire Kouchan.

 Nous sommes aussi allés sur le site de Subashi. Cet ensemble de ruines bouddhistes au pied des monts du Tien Shan, bordé par une rivière est plus secret, mais tout aussi impressionnant. On s'y promène et l'on reste sous le charme, presqu'en communion.




Une plaque à l'entrée mentionne un sinologue Français Paul Peillot. Personnage romanesque digne des "aventures de Tintin " qui été l'un des héros des 55 jours de Pékin. Ce chercheur infatigable a très longuement séjourné dans le bassin du Tarim. Il a recueuilli pour le musée Guimet et la BnF de prés de 10.000 pièces, principalement des manuscrits bouddhistes, syriaques et nestoriens de valeur scientifique inestimable.


Enfin, pour ceux qui restent en France, allez vous dépayser au Musée Cernuschi où vous pourrez voir cette ravissante statue d’un Sogdien guidant son chameau.



Matthieu et Françoise







mercredi 17 octobre 2018

Un anniversaire sous les étoiles du pays Hunza

30 septembre. Nous sommes arrivés la veille au soir à Karimabad. L’étape avait été longue et la dernière montée, particulièrement raide pour atteindre le village, nous avait fait arriver épuisés à l’hôtel. Le matin, nous traînons dans la petite ville et sympathisons avec Ali Mehboob : quelques thés, discussions, ...
Dans l’après-midi, alors que nous faisions une petite sieste dans notre chambre, Ali frappe à notre porte pour nous inviter le soir même. Nous acceptons bien volontiers. Puis un peu plus tard, un membre de l’hôtel, muni du grand cahier où sont consignées les informations des clients, vient demander à Matthieu quel est exactement le prénom de la dame qui est avec lui. Françoise aurait-elle encore un problème avec son passeport ?

À 17h, notre hôte est là. Nous partons en voiture pour monter à Eagle Nest (le repaire de l’aigle), petit hameau situé sur les hauteurs. Puis ce sera 10 minutes de marche dans un étroit sentier escarpé et nous nous trouvons dans un endroit improbable.
Imaginez un énorme rocher autour duquel un architecte fou a construit des terrasses, des jardins suspendus, des salons, des chambres, le tout dans un apparent désordre. Le propriétaire qui a rêvé et bâti ce lieu magique nous fait visiter. Les jardins sont saturés de fleurs multicolores. Nous suivons notre guide dans des escaliers sinueux pour découvrir l’ingéniosité de cette construction.






Nous terminons la visite en nous installant sur une sorte de grand balcon couvert adossé à la roche, dominant la vallée et face au Rakaposhi. Le soleil couchant illumine encore les montagnes.




Puis la nuit est tombée, le ciel est constellé d’étoiles, il fait froid. On nous enveloppe dans des couvertures douillettes. Des amis de la famille arrivent. Françoise est la seule femme ! C’est alors que, de la cuisine creusée dans le rocher sort un gâteau garni de bougies allumées et que retentit « Happy birthday to you Frrrassouaze ... » entonné par un chœur viril et moustachu et qu’un charmant bouquet de fleurs est offert à l’héroïne de la soirée ! Moment magique.



Nous dégustons le gâteau. Le cuisinier, bien que sourd et muet, sait nous faire comprendre le plaisir qu’il a à préparer un repas pour tous les convives. Légumes du jardin, pains cuits dans le four, tout est frais et offert avec cette générosité que nous retrouverons partout au pays Hunza. Tout ça sera abondamment arrosé d’alcool de mûrier. Les hommes discutent entre eux et nous nous laissons bercer par ces sonorités qui nous rappellent l’Iran. En effet, la langue Hunza prend ses racines dans le persan.






Et nous nous souvenons d’un autre repaire de l’aigle dans les monts de l’Elboorz en Iran, Alamut, où au XIème siècle vivait Hassan I Saba, le « vieux de la montagne », chef de la tribu des « assassins ». Hassan I Saba avait apporté avec lui la religion ismaélienne, une branche du chiisme. Un lien de plus dans notre voyage. Les Hunzas sont ismaéliens, leur Imam est Karim Aga Khan qui, d’ailleurs, contribue grandement au développement de cette région (écoles, hôpitaux, cultures, etc.) Se retrouver ici entre Pamir et Karakoram et parler avec nos hôtes du vieux de la montagne ajoute encore à la magie du moment.

 Enfin, jugeant qu’il est trop tard pour rentrer à Karimabad, on nous propose de passer la nuit dans ce fabuleux hôtel. On nous offre la chambre présidentielle dont le rocher forme une partie des murs.


Et au petit matin, depuis notre lit, nous nous laissons envoûter par le Rakaposhi éclairé par les premiers rayons du soleil



Nous prenons un thé et quelques chapatis puis ce sera deux heures de descente pour gagner Karimabad à pied. Les Hunzas ont ici dompté l’aridité de la montagne, distribuant équitablement l’eau des glaciers proches par un subtil réseau de canaux creusés dans la roche.


Les terrasses sont toujours entretenues. On y cultive riz, pommes de terre, fourrage pour les animaux, .

Un peu plus bas, les vergers abondent : les célèbres abricots du Hunza, mais aussi pommes, cerises, raisins. Les anciennes constructions de pierre sont toujours utilisées.


Juste avant d’entamer la descente, nous avons eu la surprise de rencontrer Javed, un Hunza, guide de haute montagne, diplômé de l’École Nationale Supérieure d’Alpinisme de Chamonix. Il y a même une voie , dite voie franco-pakistanaise, qu’il a ouverte avec son instructeur français sur la Mer de Glace. Dans la chaîne du Karakoram, les Hunzas sont les « seigneurs » au même titre que les Sherpas dans l’Himalaya. Javed a a son titre plusieurs hauts sommets dans la région dont le Kangur en Chine.





Matthieu et Francoise