Des rives de la Méditerranée à l'Orient, de la Turquie aux sources du Gange, en suivant d'anciennes routes commerciales, parcourues par les caravanes depuis plusieurs millénaires, c'est, autant que possible, à pied que Matthieu et Françoise dérouleront un long chemin. En 2016, le premier mouvement de cette aventure les a conduits d'Istanbul à Téhéran en traversant l'Anatolie, les rivages de la Mer Noire, la Géorgie et l'Arménie. Fin août 2017, repartant de Téhéran, ils gagnent la Mer Caspienne ; puis après un transit rapide du Turkménistan, ils rejoignent l'Ouzbekistan, Boukhara, Samarkand, traversent la Ferghana puis atteignent fin novembre 2017 Bishkek, la capitale kirghize. Début septembre 2018, ils quitteront Och au Kirghizstan pour Irkeshtam d'où ils pénétreront en Chine ; puis après la traversée de la Kunjerab Pass, ils enteront au Pakistan, puis atteindront l'Inde et continueront vers Haridwar, but de leur périple.

jeudi 26 octobre 2017

Poètes, savants et penseurs du Khorassan


"C'est le livre des rois des anciens temps, 
Évoqués dans des poèmes bien éloquents. 
Des héros braves, des rois renommés 
Tous un par un, je les ai nommés. 
Tous ont disparu au passage du temps 
Je les fais revivre grâce au persan. 
Tout monument se détruit souvent 
À cause de l’averse, à cause du vent. 
J’érige un palais au poème persan 
Qui ne se détruira ni par averse ni par vent. 
Je ne mourrai jamais, je serai vivant 
J’ai semé partout le poème persan. 
J’ai beaucoup souffert pendant trente ans 
Pour faire revivre l’Iran grâce au persan."

C'est par ces vers (traduction de Mahshid Moshiri) que Ferdowsi, poète persan du Xème siècle, présente son poème épique, le "Livre des Rois" (Shâh Nâmeh). Né et mort dans la region de Tous (petite ville proche de Mashad)), Ferdowsi était musulman mais il semble qu'il suivait également les anciens rites zoroastriens.

Inscription sur le mausolee de Ferdowsi
Il eut un rôle important pour le renouveau de la langue perse. Il consacra 40 ans de sa vie à cette formidable épopée nationale de plus de 100 000 vers écrits dans une langue qui a peu vieilli ce qui lui assure encore des lecteurs de nos jours.


Par un jeu subtil de différents bus, nous nous sommes rendus à Tous pour visiter le tombeau de Ferdowsi. Celui-ci est niché dans un jardin verdoyant au milieu de l'ancienne ville de Tous dont on aperçoit encore les ruines et des restes de remparts émergeant du désertique plateau iranien. La tombe devant laquelle se photographient les iraniens est recouverte d'un mausolée rappelant le tombeau de Cyrrhus à Pasgardes près de Shiraz. Des bas-reliefs rappellent les exploits de Rostam, grand héros de cette épopée.



Comme toujours en Iran, les visiteurs se recueillent sur la tombe de leurs poètes.


Autour du jardin, tout n'est que poussière ocre. Le jardin est une oasis où il fait bon se reposer. Un groupe de musiciens d'une petite ville du Khorassan nous a offert un concert de musique populaire.


C'est Ferdowsi qui nous accompagnera lors de notre départ de l'Iran sur le mur peint de l'école de Bajiran, dernier village avant la frontière avec le Turkménistan. Enfin, pour la petite histoire, une rue Ferdowsi traverse le Parc Monceau à Paris.


Quelques jours plus tard, c'est à Nishapur que nous aurons rendez-vous avec d'autres grands poètes persans. Omar Khayyam, mathématicien du XIème siècle, a laissé des traités d'algèbre qui faisaient autorité en Orient au Moyen-âge. Astronome, il a rénové le calendrier persan. Enfin, poète, il est connu pour avoir célébré le vin, la beauté et l'amour dans les Rubayat (quatrains) écrits en persan.


"Une telle odeur de vin émanera de ma tombe, 
que les passants en seront enivrés. 
Une telle sérénité entourera ma tombe, 
que les amants ne pourront s’en éloigner."
(les quatrains présents dans cet article ont été traduits du persan par Franz Toussaint, 1924).

Ses écrits et, en particulier, ceux qui exposent sa vision de la foi et de la religion, n'étaient pas vraiment conformes à l'Islam qui dominait la Perse à la suite des invasions arabes. De nos jours, encore, seuls certains quatrains sont "reconnus" par le pouvoir en place.

"Les rhéteurs et les savants silencieux sont morts 
sans avoir pu s’entendre sur l’être et le non-être. 
Ignorants, mes frères, continuons de savourer le jus de la grappe, 
et laissons ces grands hommes se régaler de raisins secs."

Était-il agnostique comme certains l'ont pensé ? Était-il simplement un hédoniste profitant des plaisirs terrestres ? En fait, ses poèmes montrent un esprit animé d'un certain scepticisme envers les règles religieuses rigides, mais non dénué de foi, à l'image des soufis, ainsi que le prônera Rumi un peu plus tard.
Ses quatrains restent toujours d'actualité comme on peut le lire ci-dessous

"Dans les monastères, les synagogues et les mosquées 
se réfugient les faibles que l’Enfer épouvante. 
L’homme qui connaît la grandeur d’Allah 
ne sème pas dans son cœur les mauvaises graines de la terreur et de l’imploration."

La tombe de Khayyam n'offre pas grand intérêt. Monument sans charme des années 1970, elle se dresse au milieu d'un jardin fleuri.


Un petit kilomètre de marche et nous entrons dans le sanctuaire dédié à Attar. Farid al din Attar de Nishapur est un poète mystique persan du XIième-XIIIème siècle. Il embrassa la doctrine soufi. Il fut exécuté par les mongols lors de l'invasion du Khorassan. Le livre d'Attar le plus célèbre en Occident est "La Conférence des Oiseaux". L'ouvrage commence ainsi :

"Chercheur de vérité, ne prends pas cet ouvrage pour le songe éthéré d’un imaginatif. Seul le souci d’amour a conduit ma main droite

La Conférence des Oiseaux relate le parcours initiatique d'une troupe d'oiseaux à la recherche de l'oiseau royal, Symorgh, qui fait vivre l'univers. Le voyage est semé d'embûches et seul un petit nombre d'oiseaux arrive à bon port. Ceux-ci auront appris que Dieu n'est pas au-dessus de l'univers mais en lui.



Si le soufisme n'est pas vraiment apprécié par le régime actuel iranien, de nombreux persans ont adopté, de manière parfois secrète peut-être, cette pensée. Il n'est qu'à voir le recueillement sur la tombe d'Attar.



Matthieu et Françoise