Des rives de la Méditerranée à l'Orient, de la Turquie aux sources du Gange, en suivant d'anciennes routes commerciales, parcourues par les caravanes depuis plusieurs millénaires, c'est, autant que possible, à pied que Matthieu et Françoise dérouleront un long chemin. En 2016, le premier mouvement de cette aventure les a conduits d'Istanbul à Téhéran en traversant l'Anatolie, les rivages de la Mer Noire, la Géorgie et l'Arménie. Fin août 2017, repartant de Téhéran, ils gagnent la Mer Caspienne ; puis après un transit rapide du Turkménistan, ils rejoignent l'Ouzbekistan, Boukhara, Samarkand, traversent la Ferghana puis atteignent fin novembre 2017 Bishkek, la capitale kirghize. Début septembre 2018, ils quitteront Och au Kirghizstan pour Irkeshtam d'où ils pénétreront en Chine ; puis après la traversée de la Kunjerab Pass, ils enteront au Pakistan, puis atteindront l'Inde et continueront vers Haridwar, but de leur périple.

mercredi 14 novembre 2018

Scène de rue à Lahore

Revenons un peu au Pakistan. Vous avez sûrement entendu parler de Asia Bibi, une chrétienne pakistanaise qui est depuis dix ans en prison à Multan, dans le couloir de la mort. Son crime : avoir bu l’eau d’un puits réservé aux musulmans. Dans ce pays, c’est un blasphème et à ce titre, c’est passible de la peine de mort (blasphemy law introduite par le général Zia Ul-Haq en 1986).


Le drapeau du Pakistan est vert avec une petite bande blanche d’un côté. Le vert représente l’Islam majoritairement sunnite, tandis que la bande blanche indique la place faite aux minorités, sous-entendu religieuses. La loi sur le blasphème s’applique aux actions envers toutes les religions présentes dans le pays ... même si, dans les faits, les peines ont majoritairement été appliquées aux musulmans chiites et aux chrétiens (15% des procès sont intentés à des chrétiens alors que ceux-ci représentent moins de 2% de la population). Les manuels scolaires présentent les minorités comme des citoyens « fondamentalement inférieurs et moins dignes de confiance que les musulmans » (Teaching Intolerance in Pakistan : Religious Bias in Public School Textbooks, étude réalisée par la fondation pakistanaise pour la paix et l’éducation, 2016).

En 2010, la cour de justice rend son verdict : Asia Bibi est reconnue coupable de blasphème et condamnée à la peine de mort. Le gouverneur du Penjab, alors en poste, Salman Taseer prend sa défense. En 2011, il est assassiné pour sa prise de position par un de ses gardes du corps, Mumtaz Qadri, lequel est alors condamné à la peine de mort par pendaison en 2016.

Le 31 octobre 2018, la cour suprême du Pakistan a rendu son verdict définitif en concluant à un «dossier vide» et à de «fausses accusations» envers Asia Bibi. Et surtout le verdict stipule également que ceux qui accusent à tort quelqu’un de blasphème pourront désormais être poursuivis. En conséquence, aucun recours contre la décision de la cour ne sera admis. Aussitôt des manifestations ont lieu dans tout le pays pour exiger qu’un recours contre la libération d’Asia Bibi puisse être déposé.
Nous étions à Lahore pendant que l’affaire Asia Bibi était traitée par la cour suprême et avons assisté à une manifestation.



Les banderoles écrites en urdu ne nous éclairaient pas sur les motivations de cette foule jusqu’à ce qu’un membre du cortège nous demande de prendre la photo d’un slogan écrit en anglais et disant « ceux qui sont compatissants avec Asia doivent savoir qu’il y a des milliers de personnes qui sont compatissantes avec Mumtaz Qadri » ; sur le même panneau, on peut lire également « Pendez Asia ».


Asia Bibi est toujours emprisonnée à Multan. Nous comprenons alors a posteriori pourquoi nous y avions été si étroitement gardés. Son avocat a reçu des menaces de mort. Il n’a pu obtenir une protection policière et s’est enfui à l’étranger. Asia Bibi, modeste paysanne illettrée, mère de deux enfants se trouve au cœur d’une affaire qui remue la communauté internationale. Plusieurs pays ont offert de l’accueillir. Mais au Pakistan, la spirale d’intolérance n’en finit pas ; ses détracteurs menacent sa famille, les membres de sa communauté, toute personne affirmant la soutenir, ... Le gouvernement semble dépassé par cette situation et, pour calmer les extrémistes, le premier ministre a affirmé ne pas s’opposer à un recours contre la libération d’Asia Bibi.

Évitons de stigmatiser ce pays. Nous avons rencontré des pakistanais éclairés et ouverts : Aïcha, jeune femme de Lahore et son mari, journaliste d’Islamabad qui nous ont accueillis à Passu, Yacoub, l’hôtelier généreux dont le jardin était un havre de paix et d’humanité alors que dans la rue les chars patrouillaient à Gilgit, le chauffeur de taxi qui, s’étant étonné de nous voir nous recueillir dans un mausolée soufi à Multan, a eu un sourire radieux quand nous lui avons dit que Dieu est le même partout, et tous ces gens qui nous ont souri, qui sont venus nous saluer, qui nous offraient du thé, des fruits, ...

Et si nous regardons de l’autre côté de la frontière, en Inde. Est-ce plus tolérant ? Certes, l’Inde est un pays plus ouvert à l’étranger, les touristes y sont nombreux depuis longtemps, les indiens ont plus de facilité pour sortir de leur pays et voyager à l’étranger. Mais, récemment, le Premier Ministre d’un état de l’union a déclaré que tous les indiens devaient être hindous. Il a également fait retirer la visite du Taj Mahal par les agences de voyage de son état, au prétexte que ce monument a été construit par Shah Jahan, empereur Moghol musulman. Enfin, alors que nous étions à Chandigarh, nous avons lu dans le journal qu’il fallait enseigner le sanscrit plutôt que l’ingénierie car, diplômé d’ingénierie, on pouvait se retrouver au chômage, alors que diplômé de sanscrit, on pourra toujours faire les pujas (prières védiques) ...


Matthieu et Françoise