Des rives de la Méditerranée à l'Orient, de la Turquie aux sources du Gange, en suivant d'anciennes routes commerciales, parcourues par les caravanes depuis plusieurs millénaires, c'est, autant que possible, à pied que Matthieu et Françoise dérouleront un long chemin. En 2016, le premier mouvement de cette aventure les a conduits d'Istanbul à Téhéran en traversant l'Anatolie, les rivages de la Mer Noire, la Géorgie et l'Arménie. Fin août 2017, repartant de Téhéran, ils gagnent la Mer Caspienne ; puis après un transit rapide du Turkménistan, ils rejoignent l'Ouzbekistan, Boukhara, Samarkand, traversent la Ferghana puis atteignent fin novembre 2017 Bishkek, la capitale kirghize. Début septembre 2018, ils quitteront Och au Kirghizstan pour Irkeshtam d'où ils pénétreront en Chine ; puis après la traversée de la Kunjerab Pass, ils enteront au Pakistan, puis atteindront l'Inde et continueront vers Haridwar, but de leur périple.

mardi 13 septembre 2016

Qu'est devenu le Pont-Euxin ?

Depuis des millénaires, les régions entourant la mer Noire ont été occupées par plusieurs populations indo-européennes ou caucasiennes. Il y a des milliers d’années, la mer qui n’était alors qu’un lac s’est remplie d’eau salée. Ceci a semble-t-il donné naissance à deux mythes : le déluge tel qu’il est relaté dans la Bible et l’épopée de Gilgamesh en Mésopotamie.
Sur ses rives, les grecs y ont ensuite fondé de puissantes cités dès le VIIème siècle avant JC, créant le Pont Euxin, Commerce et navigation y régnaient.
Trébizonde, l’actuelle Trabzon, a perduré longtemps pour devenir la capitale d’un royaume grec qui couvrait le tour de la mer Noire. Au 13ème siècle, Trébizonde revendique le titre d’empire byzantin, dans la continuité de l’Empire Romain d’Orient, et les Commènes, descendants du dernier empereur de Byzance, défait en 1204, sont alors nommés « basileus et autocrators de tout l'Orient, des Ibères et de la Province d'Outre-Mer ». Trébizonde devient vite une grande place commerciale, port d’accès au monde occidental et russe, sur une des routes des caravanes qui passait par Tabriz et Erzurum.



On dit que Marco Polo y passa. Les génois, forts d’une importante flotte, obtiennent à la fin du 13ème siècle, un monopole quasi exhaustif du commerce en Mer Noire. Trébizonde fut conquise par les ottomans au 15ème siècle. Si la noblesse s’est diluée dans les principautés chrétiennes voisines, le peuple du Pont est lui resté, se convertissant parfois à l’Islam pour ne plus payer le haraç, impôt dû par les non-musulmans.

Quand on se rapproche de Trabzon, les traces du passé deviennent visibles. À l'entrée de Ordu, sur les hauteurs de la ville apparait une église dont la forme et le dôme sont caractéristiques des églises arméniennes. Cet édifice sert aujourd’hui de centre culturel. Les informations à l'entrée du monument mentionne que le bâtiment á été édifié dans les années 1850, qu'il a fait l'objet d'une réfection par les services de conservation du patrimoine. Mais à aucun endroit il est précisé l'origine Arménienne effaçant de ce fait de la mémoire collective la nature même de cet édifice devenu lieu public. Cet état de fait nous a profondément émus...


Autre exemple, Aghia Sofia monument le plus visité de Trabzon, est une très ancienne église  byzantine dont les plus anciens vestiges remontent au 4ème siècle. Aujourd’hui, bien qu'elle soit officiellement un musée, elle continue à servir de mosquée, malgré le jugement du tribunal qui lui a enlevé cette qualité. Ceci a pour conséquences qu'une partie importante des joyaux du site est occultée. Un faux plafond masque les fresques du dôme, et les tapis de prière recouvrent les mosaïques au sol.




Ces deux cas nous ramènent au cœur des massacres de masse qui ont affecté les communautés arménienne et grecque pontiques dans les années 1915 et suivantes. Trabzon, Trébizonde, carrefour de la route de la soie, lieu d'exécution et d'horreurs vis à vis d'arméniens y compris d'enfants est entachée de manière indélébile.
Elle est connue aujourd’hui pour être l'une des villes de Turquie parmi les plus ultra nationaliste. Nous avons été mal á l'aise en voyant un mannequin pendu à l'effigie d'une personne en début d'après midi dans le Meydan au cœur de la ville, Le lendemain matin en début de matinée, il était toujours là. Ce simulacre macabre s'il s'était agi d'une personnalité politique proche du pouvoir en place aurait, dans la situation actuelle de la Turquie, bénéficié, on peut l'imaginer, d'un traitement plus ferme de la part des services publics.



La salinité des eaux de la mer Noire est de moitié celle de la Mer Égée avec laquelle elle communique par le Bosphore, la mer de Marmara et le détroit des Dardanelles. Arien, dans une lettre à l’empereur Hadrien ("le périple du Pont-Euxin"), écrit lors de son séjour à l’Est de la mer Noire, « Si l’on puise à la surface des flots, l’eau que l’on ramène est douce ; si l’on fait descendre le vase jusqu’au fond, elle est salée. Du reste, le Pont tout entier est d’une eau beaucoup plus douce que les autres mers ; … Une preuve de cette douceur (s’il est besoin de preuves pour les choses qui se perçoivent par les sens), c’est que les habitants du rivage mènent tous leurs troupeaux à la mer et les y font boire ; ceux-ci y boivent avec un plaisir évident, et c’est une opinion établie que cette boisson vaut mieux que l’eau douce »

Nous sommes loin maintenant de cette vision idyllique. Le trafic sur la mer Noire diminue : quelques bateaux de pêche, quelques cargos, des ports peu animés dans les grandes villes, etc.


Depuis une trentaine d’année, l’urbanisation de la cote turque s’accroit. Il faut loger les populations qui quittent un arrière pays qui, très montagneux, ne peut pas nourrir tous ses habitants ; ceux-ci émigrent alors vers la cote dans l’espoir d’y trouver du travail. Les petites bourgades d’autrefois ne forment plus qu’une grosse agglomération qui va pratiquement de Samsun à Trabzon.



Malgré un habitat anarchique de tours inhumaines, on ressent encore la nostalgie de la vie d’autrefois. Il n’est pas rare de voir au pied d’une tour de béton, une vieille dame qui promène une vache ou encore des jardins qui grignotent les surfaces libres, haricots, tomates, oignons, et même mais. Les magasins continuent d’exposer des cloches ou attaches pour le bétail ; les vieux se retrouvent encore au pied des mosquées pour palabrer devant un verre de thé. C’est comme si les habitants tentaient de recréer leur vie passée et ainsi, d’arrêter le temps.




Les villes, de Samsun à Trabzon (les seules que nous ayons traversées sur la rive turques), autrefois tournées vers la pêche et l’agriculture, sont maintenant coupées de la mer par une autoroute. Pour construire celle-ci, des montagnes ont été percées pour y faire des tunnels, des terrains ont été gagnés sur l’eau à grand renfort de digues.  Les habitants sont coupées de leurs activités traditionnelles ; pour gagner un port qui, autrefois était devant sa maison, il faut parfois faire une dizaine de kilomètres afin de trouver un moyen pour passer de l'autre coté de cette autoroute.
Les digues perpendiculaires à la route servent d’abri pour des petits bateaux de pêche ; elles sont sensées solidifier la route ; hélas, elles ont un effet néfaste sur les courants marins et les flux de poissons qui les suivent. Il n’est pas rare de voir dans ces criques artificielles des bateaux à vendre ou carrément abandonnés.




À la pollution des eaux, due à la forte augmentation de population, viennent s’ajouter les méfaits de cultures intensives (noiseraies, dont nous avons déjà parlé, mais, thé), les métaux lourds, résidus pétroliers, etc qui se déversent dans la mer depuis tous les pays qui la bordent.



Le poisson se fait rare, certaines espèces sont en voie de disparition alors que crevettes et phoques n’y sont plus qu’un souvenir.
La plupart des plages bordant une eau qui parait suspecte ont perdu de leur attrait, les hôtels de bord de mer ferment, les touristes désertent.

Tout n’est pas si noir. Sous un soleil radieux, nous avons aussi longé des bords de mer encore préservés où les turcs s’adonnent à la baignade en famille et d’où ils partent pêcher dans de joyeuses barques.


Face à ce beau tableau de cette mère et son enfant, comment prendre au sérieux
le récent débat sur le burkini ?
On a plusieurs fois répété dans nos récits que la Turquie, suite aux événements de la mi-juillet, s'est vidée de ses tourismes. Istanbul qui reçoit 4 millions de touristes chaque année offrait lors de notre arrivée la vue de monuments entièrement vides. La côte turque de la mer Noire n'échappe pas à ce phénomène. Les Russes ont déserté ses plages et ses hôtels et nous n'avons vu aucun bus de touristes occidentaux à Trabzon ou dans les habituels spots touristiques.
Ce qui est étonnant, par contre, c'est l'arrivée d'un tourisme inhabituel : de nombreux Saoudiens séjournent à Trabzon pendant l'été. Ils viennent en famille trouvant sans doute dans cette ville un taux d'humidité exotique pour eux. On repère particulièrement les femmes portant leurs habits noirs traditionnels, voile intégral où seuls les yeux apparaissent.
Aux basques de ces femmes en noir sont accrochés des enfants souvent épuisés par la fièvre acheteuse de la famille. Ils viennent ici pour acheter : sous-vêtements colorés, baskets de contrefaçon,  jeans fabriqués en Chine, téléphones, noisettes (!). Les femmes y trouvent un vent de liberté qui ne semble pas leur être commun. On les voit en groupe, sans chaperon masculin, s'engouffrer dans les magasins dans une envolée de voiles noirs. On est attendri par les jeunes couples, se promenant main dans la main, lui en bermuda et elle sous ses voiles protecteurs. On observe avec amusement de légères transgressions à une pesante tradition quand elles osent sortir, visage découvert, se font prendre en photo par leur mari, montrent leur cheville ou soulèvent coquètement leur masque pour manger une glace en public.
Quelques uns d'entre eux prennent leur rôle de touriste au sérieux et nous les avons croisés à la "Mosquée" Sainte Sophie ou lors d'une excursion dans l'arrière pays. Ils reviendront chez eux, le téléphone plein de photos presque sulfureuses ....





Partageant avec certains d'entre eux le même hôtel qui était loin d'être luxueux, nous avons déduit qu'il s'agissait d'une population de la petite classe moyenne saoudienne. On a l'impression qu'ils sont pléthores mais cette image est sans doute amplifiée par un espace commercial assez réduit avec une offre d'articles de qualité moyenne voire banale. Ces vagues de silhouettes noires de ces populations originaire du désert, attirées par la lumière des vitrines, nous ramenaient à une autre période.
Oui nous étions loin de l'image que l'on se fait la côte d'Azur des princes arabes et de leur luxe clinquant.

Matthieu & Françoise

1 commentaire:

  1. Bonjour Françoise et Mathieu,
    je tente encore ce moyen d'envoyer un message mais je doublerai par un mail... Les deux derniers articles sont encore une fois super et très passionnants... Vraiment merci de nous faire partager ce beau voyage car ainsi nous avons de vos nouvelles mais nous voyageons un peu avec vous ... ce week end je le passe avec les gens du quartier de Vandoeuvre pour la fête des 30 ans de l'Association AVEC: beaucoup de réfugiés , syriens, croates, kosovars et d'immigrés du magreb et de Turquie... Toutes les femmes ont le foulards et cela parle des langues que je ne comprends pas mais c'est à force de sourire et de gestes sympas que l'on communique... Je n'imaginais pas à quel point le quartier de Vandoeuvre est diversifié...
    Mais ici pas de montagne de théiers, ni de mer Noire, ni de paysages géorgiens époustouflants... profitez bien de cette longue route de découverte... Bisous
    Agnès

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